Mécanique-fiction
ce qu'il en a ete dit
par Jean-Charles Masséra
par Claire Guezengar
par Mo Gourmelon
Naturellement attirée par les faces cachées de la société et les principes qui la sous-tendent, j'investis plus particulièrement des thèmes ayant trait à l'Histoire, au politique, ou encore à la stratégie. La mise en fiction de problématiques à caractère documentaire est mon moyen de prédilection pour faire parler "la réalité". Stratifiée, ramifiée, celle-ci nécessite selon moi — pour rendre sa complexité accessible — un procédé de mise en évidence fictionnelle, sous peine de rester inintelligible. J'aborde ainsi les choses comme s'il s'agissait d'une problématique à régler, d'une enquête à mener, ou d'un mystère à percer.
Une longue phase de recherche théorique débute chacun de mes projets. Elle peut s'étendre sur plusieurs années, comme cela a été le cas pour le storytelling ou le reenactment. Cette phase m'est indispensable pour éviter les lieux communs et maîtriser parfaitement mon sujet mais aussi pour trouver toutes les correspondances, analogies et digressions sur lesquelles mon récit va s'articuler. Parallèlement à cette phase, une étude précise et détaillée des registres esthétiques et genres cinématographiques que je compte investir va se mettre en place.
L'art est pour moi un moyen ; en aucun cas une fin. Il ne s'agit pas de fabriquer de séduisants objets en faisant émerger quelques symptômes spectaculaires de nos temps particulièrement troublés. Mon but est de porter un regard différent sur le monde et de faire en sorte que ce regard soit porteur de sens. L'Histoire vacillante, c'est logiquement sur les destins individuels que mon attention se reporte. Créer du lien, colmater les brèches qui séparent les histoires personnelles de l'Histoire collective, voici une des ambitions de ma démarche. L'écriture constitue alors la pierre angulaire de ce travail de reconstruction — voire de réparation. Faisant des films avec, jamais des films sur, la pratique de l'entretien et leurs éventuelles réécritures puis montage, font partie de mes domaines de prédilection.
Me jouant de la question du point de vue, ce n'est pas le rapport du Moi avec le monde que mes œuvres s'efforcent de capter. Ma méthode consiste plutôt à m'abstraire temporairement de la réalité pour observer — comme par cette sphère magique que décrit Borgès dans l'Aleph et où « sont présents, sans se confondre, tous les lieux de la terre, vus de tous les angles». C'est uniquement à l'issue de l'articulation de différents registres de focalisation, que je peux à nouveau tenter de me trouver une place — quand bien même celle-ci s'avèrerait hors-champ.
Les procédures fictionnelles me servent d'articulation à des vues constatées au départ comme hétérogènes. La mise en récit et (ou) en fiction, me permet alors d'imposer un ordre nouveau à la réalité que j'ai perçue et de mettre en exergue des aspects spécifiques qui constituent les points de tension, les nœuds à la fois théoriques, émotionnels et esthétiques que j'ai pu percer à jour. Aussi, j'entends mon processus comme un travail d'analyse dans lequel la fiction devient une courroie de redistribution du réel. Une mécanique-fiction destinée à dialectiser la beauté tragique de nos existences contemporaines.
J'aime décrire mes productions, de façon provocatrice, comme amorales. L'indignation instituée en émotion unique de circonstance et les réflexes de pensée visant à séparer le monde entre les bons d'un côté et les méchants de l'autre, ne font pas partie de mon registre. Je leur préfère les procédés de distanciation, qui me semblent bien plus opérants pour appréhender les questions liées à la violence et au Mal, omniprésentes dans mes travaux. Mon engagement réside dans le fait de ne pas m'abandonner à la facilité des chemins balisés ni à la complaisance d'un traitement convenu ; le courage constituant pour moi la valeur suprême.
Sandy Amerio