Basement
Video, 17 mns, 2007
details Techniques
Durée
17 mns
Année de production
2007
Langue
Anglais
Lieu de tournage
Staten Island
Credits
Image / Texte / Montage
Sandy Amerio
Production
Musée du Mac Val
Basement est une extension ou déclinaison faisant partie de sa recherche sur les opérations psychologiques (PSYOPS) à travers laquelle l'artiste rejoue différentes situations de domination (militaire, économique,
sexuelle, médiatique…). Ce film court a été tourné à New York, autour du Fort Wadsworth sur Staten Island, l'une des plus importantes bases militaires du pays, qui a assuré la défense de la ville pendant plus de deux cents ans. À l'assaut de cette forteresse, la caméra de Sandy Amerio multiplie les points de vue. Subjective, elle rase les murs, explore le territoire, s'enfonce dans les catacombes… Employant une autre stratégie, elle prend de la hauteur et nous offre à travers une vue aérienne modélisée par le logiciel Google Earth une vision déformée du site, un décor de jeu vidéo grandeur nature. Simultanément à ces images, la narratrice fait la description d'un présent
terrifiant raconté depuis un hypothétique futur. En empruntant au prêche, à la propagande, à la publicité, au téléphone rose ou encore à l'hypnose différentes techniques d'énonciation, Sandy Amerio attise l'aptitude humaine à raconter des histoires et interroge le pouvoir qu'a le récit de transformer l'état émotionnel du spectateur.
L.H
Texte du catalogue ZPC édité par le Musée du Mac Val.
Le texte intégral de Basement :
Nous vivions une époque formidable, où tout le monde
avait une idée bien précise de tout sur tout. Que fumer
ça tue, que baiser des petits garçons c'est pas bien, qu'on
finirait tous par crever dans une catastrophe naturelle
ou simplement parce qu'un connard surendetté aurait
décidé de nous poignarder dans le dos au sortir d'un
supermarché de banlieue ou, pire encore, par simple
peur.
Tout ce petit monde aurait bien eu besoin d'une
auxiliaire de vie pour l'aider à mourir. Les hommes et les
femmes ne savaient toujours rien du pourquoi de leurs
existences faibles, dubitatifs de leur propre réalité. Le
hasard tout au plus aurait pu en être l'origine, mais il
aurait fallu alors lui donner un corps, une raison d'être.
Une matérialité saignante. Pour une vie finalement
à peine plus vraie qu'un reality show. Une miniature
mimétique. Une légolitique. Qui imitait la vie, la vraie,
et dont la vraie vie s'inspirait à son tour.
Où se trouvait
donc l'original ? À combien de générations de copies en
étions-nous ? L'image d'archive était au temps 0 de sa
mémoire. Le temps se jetabilisait. Les corps de plus en
plus disponibles offraient leur valeur d'usage prête à
l'emploi, pour se faire exploser, pour gagner un jeu télé
ou se faire jouir on fine. On parlait alors de capitalisme, de
mondialisation, de libéralisme.
Si ces idées avaient pu être des personnages, nul doute
que le gros bonhomme au cigare, repu et paternaliste,
avait engendré un fils, un yuppie costard-cravate, plutôt
sexy, blindé de coke, qui lui-même avait laissé place à
un sale gosse de riche, un suicidé de Californie bourré de
méthamphétamines.
Et si la seule raison à ces incarnations
successives avait été la photogénie ? Travailler la réalité à
grand renfort de séduction pour ne pas montrer le vrai
visage d'un monde euthanasié, peuplé de petits corps
téléguidés, en attente d'une évasion d'eux-mêmes. Teeshirts
Che Guevara, chapeaux afghans ou croix gammées,
peu importe. Des décalqués, des délavés d'une révolution.
N'importe laquelle. Pourvu qu'elle les fasse exister. Le
monde avait purement et simplement abdiqué. Il se
refusait à penser. Il compulsait. Et ça faisait un bruit
d'enfer. Classifier, empiler, mixer le résultat sans relâche
pour trouver de nouveaux scenarii. On pouvait, à condition
d'être attentif, en repérer les cycles et les occurrences.
Les déviations successives jusqu'à l'anéantissement ou le
remplacement par une autre actualité.
Ainsi, aux pédo-nazis avaient succédé les porno-terroristes.
À chaque politique de la peur, son cul. À chaque cul, sa
politique de survie. Les plans cryptés des prochaines
attaques terroristes se cacheraient-ils sur le Net, derrière
seins, chattes, queues, cul, poils, poils au cul et ainsi de
suite, épuisant toutes les combinaisons ? C'était en tous
les cas la dernière rumeur à la mode. Finalement, on
avait fait là une grande découverte : que le cul, c'était
aussi du politique. Il y avait eu les photos de vacances des soldats
d'Abou Ghraib et celles que l'on n'avait jamais vues. Et
si, par hasard, il vous arrivait de voir l'image du Christ
dans le ciel, rassurez-vous, cela n'est sans doute qu'un
hologramme test de l'armée provenant d'un autre temps,
pour une autre guerre à gagner.
Ça oui, on avait sacrément besoin de se dire qu'il existait
quelque chose d'autre. Un truc qui aurait pu nous sauver.
Une nouvelle religion rien qu'à soi. Pas une grande
mythologie qui aurait chamboulé nos petites vies. Non,
un tout-en-un, un kit de survie.
Vous me direz : il restait l'Amour. Pas celui de la
compassion téléthonesque, non, le vrai Amour, le
désintéressé. Celui qui serait détaché de toute mise en
abîme, de toute représentation de lui-même. On marchait
tous à l'abri dans des souterrains qui risquaient de s'effondrer d'un
moment à l'autre. La plupart du temps on faisait comme si
de rien n'était. Par peur de voir où le tunnel menait.
Quelquefois, nous tombions dans un trou que quelqu'un
d'autre avait recouvert de branches. Et ce quelqu'un
d'autre, ce quelqu'un très précisément, ce very quelqu'un,
nous commencions par l'aimer. Bêtement. Presque
machinalement. Parce que nous ne connaissions pas les
plans de nos désirs et finalement, cet autre-là saurait peut-être
nous guider. On se laissait tomber. Mais, la plupart du
temps, on oubliait qu'il n'y avait aucune raison que l'autre
connaisse davantage les plans de notre propre enfer. On
faisait tout pour lui plaire, pour ne pas lui déplaire, pour
se faire une petite place. Et il y avait toujours un moment
où l'un mangeait l'autre, la nourriture, l'oxygène ou la
lumière venant à manquer. Puis, du fond de ce trou, où
l'autre nous maintenait, nous faisions nôtres les branches
qui nous recouvraient, les arbres qui nous masquaient le
soleil et les insectes qui nous mangeaient.
Si seulement on avait pu changer d'échelle. Voir du dessus.
Oui, au-dessus du rayon frais de notre supermarché,
au-dessus du sans cholestérol, de l'oméga 3, 6, 9, de
la première pression à froid, du 0 %, au-dessus de nos
petites vies et de ses labels de qualité. Encore un petit
effort. Plus haut. Zoom arrière. Je veux vous voir comme un petit soldat de plomb sur un champ de bataille miniature.
Comme un pion sur un plateau de jeu de société.
Oui, restez bien au-dessus de la mêlée. De tous ces
corps qui s'égorgent et se baisent. N'ayez pas peur.
Je sais, les cris de douleur, les sanglots sont terribles.
Vous n'échapperez pas à la platitude. Vous vous fondez
déjà dans le paysage. Élevez-vous un peu. Bien. Respirez
profondément.
Il y a une enceinte mentale que maintenant vous
faites descendre lentement. Sans que personne ne s'en
aperçoive. Le mur est assez haut pour que quiconque
ne puisse s'échapper. Aucun de nos personnages. La
Mondialisation est là. Même le Communisme s'apprête à
côté du Temps. Il y a le Passé et le Futur. Le Sacré côtoyant
le Profane. La Rumeur, et je pourrais en citer tant d'autres
encore. Tout est en présence. Au même instant. Dans le
même temps. Le mur lévite, il va bientôt se poser. C'est
un vaisseau fantôme. Il choisit son emplacement exact.
Quelques personnes seront écrasées sous le poids, c'est
inévitable. Leurs os craqueront. Un détail va nous sauter
aux yeux. Incohérent. Mais nous savons vous et moi que
les héros finissent toujours par découvrir quelque chose
de bizarre. Ils zooment dans la matière pixel. Et trouvent
une ombre. Une ombre maligne qu'ils comprennent.
Ça y est, le vaisseau se pose et fait retentir les Ténèbres.
Les os craquent comme prévu. L'endroit créé sous nos yeux
n'a pas d'âge. Il pourrait exister depuis n'importe quelle
époque, à tout lieu. Il est mou, étirable en tous points.
C'est une représentation. Infidèle. Géométriquement
instable autant qu'émotionnellement incorrigible. C'est
le cri du Temps. Certains disent qu'il y a des gardes qui
empêchent de sortir. Que dehors l'horreur est manifeste.
Qu'elle vous fige sur place. Que règne la Mort. Certains se
damneraient pour entrer. S'ils savaient… Comme il fait
froid et humide ici. je vous parle de cet endroit où je suis
pris au piège et que j'ai peur que vous ne puissiez jamais
atteindre. Vous y êtes déjà. Sans le savoir.
Texte de Sandy Amerio publié dans le catalogue ZPC édité par le Musée du Mac Val.
EDITIONS
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